22h15 — breathe (nicki)

Tu avais reçu un papier dans ta boîte aux lettres, t'invitant à venir regarder un des trois films proposés au jardin botanique. Ça ne t'emballait pas vraiment mais tu voulais voir si tes parents allaient y aller, eux, qui formaient le couple parfait. Tu voulais voir s'ils allaient, pour une fois dans leur vie, s'immiscer avec la population. Peut-être qu'ils avaient changé avec le temps, qu'ils ne se considéraient plus comme au dessus des autres habitants de la population mais bien comme eux. Quoiqu'il en soit, tu savais pertinemment que si tu les voyais, tu n'allais pas leur faire le moindre signe d'affection. Tu les avais oublié avec le temps, tu avais appris à vivre sans eux. C'était des parasites. Et les parasites, tu les tues avec une bombe aérosol. Ou avec une bombe tout court, ça pouvait également fonctionner. C'est sûr que ce n'était pas avec un simple spray que tu allais t'amuser à tuer deux personnes comme tes parents. Mais tu ne souhaitais pas les tuer, tu souhaitais les voir souffrir comme toi tu as pu souffrir durant toute ton enfance. Non, ils n'allaient pas passer à la chaise électrique, ils allaient passer des années et des années à se faire torturer. C'est bien plus intéressant, surtout ton père, que tu ne pouvais plus voir. Rien que d'y penser, tu avais les poils qui frissonnaient.

Tu avais demandé à ton patron de prendre la soirée puisque tu avais fait de nombreuses heures supplémentaires. Il avait accepté, heureusement. Sinon, impulsif comme tu étais, tu te serais sûrement barré. Tu t'en fichais au final de ton boulot, c'est uniquement un moyen d'avoir de l'argent. Tu attendais uniquement le bon moment pour lancer ta carrière d'avocat. Mais il ne fallait pas que ça tarde trop, la trentaine arrivait à grand pas. Tu étais au courant, de tout ça, mais il ne fallait surtout pas te mettre la pression. Tu détestais ça. Selon toi, tu avais tout ton temps. Tu avais sûrement raison, au final, que tu débutes à vingt, trente ou cinquante ans, c'est la même chose. Il est même plus réfléchi de débuter après la vie de jeune adulte puisqu'une fois avocat, dès que tu fais une connerie, tu te fais laminer par les journalistes et sur les réseaux-sociaux. Tu étais bien au courant de tout ça. C'est d'ailleurs ce qui t'effrayait le plus, inconsciemment. Tu savais que les gens parlaient entre eux dans une ville comme Mill Valley. Mais, rien n'était officiel, ce n'était écrit nul part et c'était du coup beaucoup moins dérangeant que ton nom écrit en gros sur la première page du journal quotidien.

Tu te rendis donc au jardin botanique. Tu n'étais pas en retard, tu étais fier de toi. En sortant de ton travail seulement une demi-heure avant, tu avais eu peur de l'être. Il y avait déjà pas mal de monde. Tu avais choisi de regarder The Ring puisque tu avais déjà entendu parler positivement de ce film et qui sait, la soirée n'était pas terminé, peut-être allais-tu continuer sur ce pas et regarder le deuxième également ? Le premier en revanche, ne t'avait absolument pas intéressé. Il était bien trop vieux. Le dernier aussi, tu me diras mais plus connu. Et selon toi, si un film était connu, c'est qu'il valait le détour. Tu arrives, t'installes, remarques qu'il y a déjà pas mal de monde alors qu'il restait encore dix minutes avant la visualisation du film. Bon timing.

Franchement, tu n’avais pas vraiment l’intention de te déplacer ce soir-là. Du moins, pas pour aller t’asseoir dans un jardin, à regarder un film d’horreur (ou plusieurs) qui ne collerait absolument pas au décor. Le genre d’activité que la ville organisait un peu trop souvent à ton goût, qui ne faisait d’ailleurs que te décrocher un sourire et un petit rire par le fait même. Parce que oui, tu trouvais assez marrant les efforts que la ville déployait pour organiser ce genre de festivité. Malgré la terrible manière dont la précédente s’était terminée. Quoi qu’ils devaient bien se douter qu’une séance de projection de film serait bien moins dangereux que la fête foraine. Bien que cela restait toujours à voir.
Et pourtant, t’as fini par changer d’avis toi. Sur un coup de tête, faute d’avoir mieux à faire. Parce que tu t’étais pris la tête avec ton frère, assez pour que t’aies ce besoin de quitter l’appartement, au moins le temps de quelques heures. Les bars, qui étaient fermés d’ailleurs ce soir-là, spécialement pour l’occasion. Ou du moins, c’est ce que tu en avais déduit toi, après t’être rendu à celui que tu fréquentes habituellement pour finalement réaliser que tu ne pourrais pas y passer la soirée. Du coup, le choix s’était fait de lui-même. Tu avais continué jusqu’au secteur nord de la ville, tu t’étais stationné assez loin de l’entrée du jardin botanique, et tu avais laissé tomber un long soupir réalisant là que tu avais peut-être fait une erreur parce que presque toute la ville était déjà rendue là pour profiter de la soirée que la mairie avait organisée.
Le film, qui n’allait probablement pas trop tarder à commencer quand tu es arrivé. Du moins c’est ce que tu en avais déduit en regardant l’heure qui s’affichait sur ton portable. Ton regard, qui se pose rapidement sur l’assemblé qui se dessine sous tes yeux. Un nouveau soupir, qui ne tarde pas à rejoindre tes lippes, l’envie de faire demi-tour qui te prend malgré tout. Mais ça, c’était avant. Avant que tu reconnaisses cette silhouette familière, avant que ça parvienne à te décrocher un sourire. Cinq minutes qu’il reste à peine avant le début du film, tandis que tu t’installes derrière lui, le sourire au coin des lèvres. « Et bah, en voilà une surprise. » Que tu mentionnes, petit rire qui franchit la barrière de tes lippes au même moment, alors qu’il se retourne vers toi, qu’il te reconnaisse par le fait même. Ta façon bien à toi de le saluer d’ailleurs, un peu particulière, mais il ne t’en voudra probablement pas. Parce qu’il te connait depuis un bon moment déjà, et que ça l’a toujours été comme ça entre vous. « Alors, toi aussi tu viens casser un peu l’ennui devant un bon vieux film d’horreur. » Film que tu avais déjà vu toi, d’ailleurs. Que tu avais bien apprécié aussi. Et au final, c’était peut-être pour ça que tu t’étais laissé convaincre (par toi-même) que ce n’était pas une si mauvaise idée que ça, cette soirée. Qu’il y avait probablement pire, comme le film qui suivait celui-ci. Et maintenant qu’il y avait Jude, tu te disais que la soirée serait probablement moins ratée que ce que tu t’attendais au départ.